Source: Tagesanzeiger du 25 juillet 2019 [1]
Pour certains, le revenu de base inconditionnel est la clé du paradis sur terre. Photo : Rita Mühlbauer.
L'électorat suisse l'a clairement rejeté, et l'un après l'autre, les tests échouent. Le revenu de base commence-t-il à être has been ?
Bien au contraire. Le référendum suisse n'a pas été la fin, mais le début d'un grand débat sur un revenu de base. En Allemagne, une personne sur deux y est désormais favorable. Aux États-Unis, Barack Obama et Andrew Yang, candidat démocrate à la présidence, se sont prononcés en faveur de ce projet. Et la majorité de l'électorat suisse s'attend à un nouveau vote. Le revenu de base n'est pas un flash médiatique, mais une question politique permanente.
La cinéaste suisse Rebecca Panian voulait récolter six millions de francs pour tester le revenu de base à Rheinau. Seulement 150 000 francs ont été collectés. Les gens n'en veulent pas, de votre revenu de base.
Je n'ai moi-même pas donné un seul franc au projet Rheinau. Une île des bienheureux financée par des dons n'a rien à voir avec un revenu de base. Même l'expérience finlandaise avec 2 000 chômeurs qui ont été contraints au bonheur de bénéficier de prestations sociales sans conditions pendant deux ans ne prouve rien en ce qui concerne le revenu de base. Le revenu de base n'est pas une pilule du bonheur qui peut être testée sur des cobayes. C'est un droit fondamental qui, de même que l'abolition de l'esclavage ou l'introduction du suffrage féminin, semble inimaginable jusqu'à ce qu'il devienne soudain évident.
Faux. En Allemagne, le revenu de base trouve des soutiens tant chez les démocrates-chrétiens que chez les libéraux. De nombreux entrepreneurs y sont également favorables. D’un point de vue historique, le revenu de base a aussi des racines libérales : Parmi ses pionniers on trouve Thomas Paine, l'un des pères fondateurs des États-Unis, Ralf Dahrendorf, le sociologue touche-à-tout libéral ainsi que Milton Friedman, prix Nobel néolibéral d'économie, qui considérait le revenu de base comme une alternative avantageuse à l’État providence moderne.
Pour Friedman, la mise en œuvre du revenu de base était le premier pas vers l’abolition de l’État providence
En effet, Friedman voulait introduire le revenu de base et abolir l'Etat-providence. Je ne veux pas cela. Je suis un partisan libéral du revenu de base. Et social. Je ne veux pas abolir l'État-providence, je veux le transformer. L'Etat providence assure les besoins urgents, le revenu de base garantit ses fondements.
L'introduction de votre revenu de base, ce vaste programme de redistribution, marque la fin de la démocratie libérale.
Il est vrai que le revenu de base inconditionnel pose la question du pouvoir. Mais il la pose dans le cadre et non à l'extérieur de la démocratie libérale. Les démocraties libérales vivent de la concurrence des idées et des décisions communes. Le revenu de base donne une nouvelle impulsion à la démocratie libérale. Elle oppose à la position technocratique dominante de l’absence d'alternative une idée post-idéologique qui renforce à la fois la liberté de l'individu et la sécurité de tous.
Une idée post-idéologique ? Ça sonne technocratique. En fin de compte, ne manque-t-il pas au revenu de base le potentiel d'identification, l'enthousiasme d'un mouvement politique ?
J'observe le contraire. Le revenu de base réconcilie la logique de droite avec l’éthique de gauche. À cet égard, il est post-idéologique. Et à cet égard, il soulève l’enthousiasme de plus en plus de gens sans aucun culte populiste du leadership.
Pour une meilleure compréhension : Quelle est exactement la différence entre le revenu de base réalisé dans le bonheur et le communisme réalisé dans le bonheur ?
Le communisme est aussi aveugle à l'œil du libéral que le néolibéralisme l'est à celui du social. Liberté, égalité, fraternité - les trois vont ensemble comme la tête, le cœur et la main. Au XXe siècle, ces mots d’ordre ont été déchirés par la force et se sont concurrencés de façon fatale. Au XIXe siècle, il faut réparer cela, raison pour laquelle le revenu de base n'a rien à voir ni avec les travaux forcés, ni avec l'économie planifiée et la dictature du parti – pas plus qu’ avec un libéralisme sans scrupules.
Aujourd'hui, les géants de la technologie aspirent le gros de l'argent et laissent les miettes aux autres. L'État doit-il intervenir s'il veut réaliser le revenu de base ?
Les monopoles et les cartels mettent en danger l'économie de marché. C'est pourquoi il y a de bonnes raisons de ne pas laisser tout se permettre aux géants de la technologie. Toutefois, le financement du revenu de base n'en est pas dépendant. Le revenu de base ne coûte pas plus d'argent, mais moins de méfiance, et n'est pas dépendant de la philanthropie de la Silicon Valley.
Actuellement, le problème le plus urgent n'est pas la redistribution, mais la question de l'environnement. Sur ce point, le revenu de base n'est pas d'un grand secours.
Au contraire ! L'obligation latente d'aujourd'hui de travailler encourage beaucoup d'affaires. Aujourd'hui, la contrainte de fait au travail incite à la création d’emplois de merde, dont les gens tentent de compenser l'absurdité en recherchant désespérément des aubaines exceptionnelles. Cela donne un cercle vicieux écologique : une production insensée est suivie d'une consommation insensée et vice-versa, ainsi de suite. Ce cercle vicieux ne sera rompu que lorsque la liberté sera le nouveau sceau de la qualité du travail. La liberté garantie par le revenu de base met un terme à l'absurdité qui menace de ruiner la planète.
Vous êtes le prophète germanophone le plus connu du revenu de base inconditionnel. S’il était réalisé, vous perdriez la mission de votre vie.
Les prophètes proclament la Parole de Dieu. Je ne proclame ni la Parole de Dieu ni le pur enseignement du revenu de base. Et j'ai assez à faire avec ou sans revenu de base.
Vous ne vous lassez jamais de parler et d'écrire sur le revenu de base ?
Si personne d'autre ne s'y intéressait, cela deviendrait certainement ennuyeux à long terme. Cependant, comme de plus en plus de mes contemporains s'enthousiasment pour le revenu de base, pour moi il est maintenant plus excitant que jamais de s'y impliquer.
Liens:
[1] https://www.tagesanzeiger.ch/kultur/buecher/Teufelskreis-wird-durchbrochen/story/12284985