Pourquoi soutenir l'initiative sur le Revenu de base? (Chronique satyrique et, à l'occasion, de mauvaise foi)
(article paru dans le PostScriptum (http://issuu.com/psgenevois/docs/newpscr_005-13_psg) du mois de mai et reproduit sur mon blog (http://est-ethique.6mablog.com),dans la rubrique Revenu de base )
Rappel: le Revenu de base est l'idée d'allouer à chaque membre de la communauté un montant minimal (à définir, mais on parle pour la Suisse de 2'500 par mois) de manière inconditionnelle, soit indépendamment de la situation patrimoniale et/ou familiale. Une initiative populaire fédérale visant à instaurer ce principe a été lancée en avril 2012 et devrait aboutir prochainement.
A titre personnel, je serais tenté de répondre simplement: "parce que c'est la seule proposition novatrice, progressiste et un brin révolutionnaire qui nous ait été faite depuis au moins 40 ans" - hé oui, mai 68 est désormais un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. Et si une outrecuidante avait le malheur de me demander: "mais encore?", comme je suis des fois fatigué de répéter les mêmes choses depuis près de 15 ans (j'ai défendu mon mémoire de diplôme sur ce qui s'appelait à l'époque l'Allocation universelle en 2000) je serais tenté de la renvoyer au dernier numéro du Monde diplo - excellent pour une fois (serait-ce parce que n'y écrivent dedans quasiment que des genevois? la question peut rester ouverte). Mais conscient que ce serait une réponse un peu courte, et que les articles du susnommé mensuel sont vraiment écrits tout petit, je ferai l'effort de quelques développements, en me concentrant sur certains arguments souvent avancés, à gauche, en défaveur du Revenu de base.
Commençons par le plus tarte, et malheureusement pas le moins fréquent: "Milton Friedman, célèbre économiste néo-libéral de Chicago, inspirateur de Margareth Thatcher et conseiller économique d'Augusto Pinochet (ndr : un vrai méchant ce Milton) était pour". Outre que c'est partiellement faux - il défendait l'impôt négatif mais passons sur les détails - la belle affaire! Comme si une idée appartenait à celui qui y adhère. Et comme si ce qui était vérité hier ne pouvait devenir mensonge aujourd'hui - l'élection du Conseil fédéral n'avait-elle pas été proposée par deux fois, dans un lointain passé certes, par le Parti socialiste? Il faut donc toujours faire l'effort d'évaluer les projets pour ce qu'ils sont, non seulement pour ce que certains en disent, et dans l'ici et le maintenant.
Ce qui nous amène à un deuxième argument, plus situé celui-là, qui est de reprocher à l'initiative, parce qu'elle n'articule aucun montant ni mode de financement mais seulement un principe - dans le respect, en passant, de l'esprit constitutionnel, mais qui s'en soucie? - d'ouvrir un boulevard à la droite majoritaire au parlement pour démanteler notre état social sur l'air: "maintenant qu'ils ont un revenu de base, on peut leur sucrer le reste". L'argument laisse songeur, surtout quand il émane de milieux favorables au salaire minimum, tant il fait penser à l'argument le plus classique de la droite contre toute forme de protection de base, à savoir qu'il y aurait un effet d'attraction irrésistible vers le plancher - à part la force gravitationnelle, je ne vois pas. Comme si la droite patronale attendait depuis des lustres en embuscade qu'on lui donne le prétexte pour pouvoir s'attaquer au système social. Historiquement, on constatera même que, en dépit d'une hégémonie bourgeoise de toujours, la protection sociale est allée globalement en s'étendant et que jamais un droit social nouveau est venu en chasser un autre.
A gauche toujours, certains s'émeuvent encore de la remise en cause par le Revenu de base de la "valeur travail" (argument le plus partagé, puisque très présent à droite) ou même s'inquiètent de la faisabilité économique - j'ai du raté un épisode de l'évolution de la gauche, je croyais encore que l'on était la boutique où l'on rasait gratis. Sur ce dernier point, avec un coût estimable entre 150 et 180 milliards (selon que l'on accorde un quart ou une moitié de revenu aux mineurs), un PIB de 590 milliards, dont près de 200 finissent en dépenses publiques, et toutes les Porsches Cayenne qui continuent d'encombrer nos rues et de menacer nos enfants, on se dit que c'est pas moins jouable que les velléités de certains d'assurer la prospérité du plus grand nombre sur la tonte radicale de quelques milliardaires qui auront eu la possibilité de s’exiler - on s'en fout - avec toute leur fortune - c'est plus embêtant - avant même que les 7 ou plus (combien de divisions?) composantes de la gauche la plus proche du mur se soient mises d'accord sur la première phrase de l'initiative vengeresse.
Quant à la valeur travail, estimer que celui-là se jauge uniquement à sa contrepartie financière serait une manière, bizarrement socialiste pour le coup, de le réduire à une vision purement marchande et capitaliste. Comme s'il n'était de travail que dans le rapport salarial. Et comme si le marché du travail produisait une juste distribution des revenus. Loin de moi l'idée de mettre en procès le salariat, extraordinaire véhicule de progrès économique et social pour les travailleuses, mais force est de constater qu'il a pour le moins, et depuis maintenant plusieurs décennies, quelques fuites d'huiles. C'est comme lorsque l'on me rétorque que: "verser un revenu sans contrepartie c'est renoncer à l'objectif d'un travail décent pour toutes et tous", j'ai l'envie de répondre comme Georges Picard - auteur apprécié d'Holenweg, c'est dire si c'est du lourd: "Dans quel monde vivez-vous?", tant le plein emploi apparaît aujourd'hui plus que jamais comme la vieille lune qu'il a toujours été (on n'a connu de plein emploi que masculin).
Enfin, l'argument peut-être le plus sérieux, celui du montant qui serait insuffisant pour vivre décemment (qui peut se payer une Porsche Cayenne avec 2'500 francs par mois), il apparaît vite comme un commode cache-sexe lorsque l'on considère la diversité des besoins, notamment ceux des personnes avec un handicap physique, pour lesquelles il sera toujours nécessaire d'engager socialement des dépenses bien supérieures à tout revenu de base, fût-il de 6'000 francs par mois. .
Et pour finir, afin de quand même lancer véritablement la discussion, je propose une raison de defendre le revenu de base:
Celui-la est une manière d’achèvement de notre système de protection sociale.
Si notre constitution garantit en effet à tous le droit de « recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine », il convient aujourd’hui de constater que la dignité n’est pas indifférente à la manière d’octroyer ces moyens indispensables. Et en ce sens, la fourniture ex ante de moyens d'existence s’avère une manière bien plus respectueuse des personnes de concrétiser leurs droits sociaux et, partant, plus susceptible de libérer leurs potentialités, seul véritable enjeu, finalement, d'une politique qui se voudrait émancipatrice.
Julien Dubouchet Corthay (http://est-ethique.6mablog.com)
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