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Pourquoi suis-je si farouchement favorable au revenu de base inconditionnel après m'en être moqué ?

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Pourquoi suis-je si farouchement favorable au revenu de base inconditionnel après m'en être moqué ?

Sans doute parce que j'en bénéficie depuis l'âge de 16 ans, à la différence près que, dans mon cas, on appelle ça un héritage. Combien ? Je vais vous le dire: CHF 800'000.-.

Je ne vous cache pas qu'être mis en possession d'une telle fortune avant même d'avoir atteint ma majorité a laissé quelques séquelles psychologiques sur lesquelles je continue à travailler, mais cette somme considérable m'a aussi permis de réussir quelques trucs plus facilement que d'autres:

- Une maturité latine avec mention;
- Une licence en droit avec mention;
- Mon brevet d'avocat, sans mention particulière, mais du premier coup;
- La fondation d'une étude d'avocats il y a dix ans, toujours debout aujourd'hui envers et contre tout.

Le tout en disposant d'assez de temps et d'énergie pour apprendre à penser la vie en toute indépendance, ce qui m'a permis:

- D'avoir le meilleur groupe d'amis de l'univers (et probablement au-delà);
- De trouver la plus fantastique des épouses;
- D'avoir été présent à chacun de ses accouchements et pendant les semaines qui les ont suivi;
- De m'impliquer au maximum de mes capacités dans l'éducation de mes deux filles et l'entretien du ménage (mais pas encore assez du point de vue de la fantastique susmentionnée ;)).

Vous me direz que certains font encore mieux sans le moindre héritage, ce qui me les rend d'autant plus admirables ! Ils sont pour moi une source constante d'inspiration.

Cela étant, aurais-je pu, sans le moindre matelas de sécurité, prendre l'engagement de ne jamais poursuivre mes clients lorsqu'ils ne paient pas mes factures ? On parle ici d'environ CHF 100'000.- d'activité en 10 ans, dont je ne reverrai jamais la couleur.

Aurais-je pu aider quelques amis à lancer, avec succès, des projets professionnels ?

Aurais-je pu financer une campagne de lutte contre la malnutrition au Sénégal ?

Aurais-je pu me lancer dans le projet fou (et pour le moment infructueux) de créer, avec l'aide des meilleurs artisans, une montre 100% swissmade sans la moindre connaissance technique horlogère, mais avec toute la passion dont je suis capable ?

Aurais-je pu prendre la plume ici, aussi régulièrement, sans me soucier de ma réputation auprès des notables qui seraient pourtant d'excellents clients ?

Sincèrement, je ne pense pas. Sans cette sécurité financière, je n'aurais jamais eu le courage et l'énergie d'entreprendre tout ça.

Alors, oreiller de paresse le RBI ?

Je vous laisse juges en admettant bien volontiers que, malgré tout ce qui précède, je ne suis - de loin pas ! - un stakhanoviste. J'ai très vite appris à trouver le chemin le plus court possible entre le point A et le point B. En tant qu'avocat, si je peux dire la même chose en cinq pages plutôt qu'en cinquante, je le fais (tout bénéfice pour mes clients), ce qui me vaut d'ailleurs de gagner bien plus de procès que je n'en perds, le cas échéant face à des assurances privées et publiques qui tentent systématiquement d'arnaquer leurs assurés.

Comprenez-moi bien: l'objet de ce texte n'est pas de me tresser une couronne de lauriers. Loin de là. Ma faible estime personnelle m'a conduit à passer les dix dernières années de ma vie sur le divan d'un psy. Je me suis toujours détesté d'avoir bénéficié, sans le mériter, de ce privilège hallucinant consistant à naître dans la bonne famille et le bon pays.

Il m'a fallu très longtemps pour admettre que j'avais aussi vécu ma part de souffrances, comme ce Noël 2004 passé au chevet de ma mère, à Buenos Aires, après une rupture d'anévrisme fulgurante qui a failli lui coûter la vie, non sans nécessiter plusieurs interventions lourdes, à savoir notamment deux trépanations.

Ou la perte de mon père, il y a déjà presque cinq ans, juste après la naissance de ma première fille et alors que nous commencions à peine à nouer les liens que mon parcours familial avait fragilisés.

Ou la mort de mes deux cousins préférés, l'un par suicide et l'autre par overdose, avec lesquels j'aurais tant aimé partager les hauts et les bas de la vie plus longtemps.

Ou le fait d'avoir grandi sans jamais voir mes parents se témoigner la moindre marque de tendresse mutuelle, bien au contraire.

Les privilèges dont j'ai disposé, la vie me les a largement facturés, comme elle le fait malheureusement aussi avec ceux qui n'ont pas ma chance.

Je ne suis pas fier de mon parcours. Il est ce qu'il est et je suis bien obligé de l'assumer. J'aurais adoré m'identifier à ces self-made men qui ont bâti des empires en partant de rien, mais c'aurait été d'une hypocrisie totale. Je pourrais gagner beaucoup plus d'argent en travaillant plus mais, je l'avoue: je préfère passer du temps en famille, avec mes amis ou même seul à réfléchir, à écrire ou à photographier plutôt que tartiner de la jurisprudence au kilomètre entre les quatre murs de mon étude.

Je suis un putain de privilégié, heureux comme il est indécent de l'être par les temps qui courent, mais aussi totalement dépressif à l'idée que, pour une grosse partie de mes semblables, la vie se résume à... de la survie.

Si je soutiens le RBI, c'est pour leur permettre de bénéficier des mêmes opportunités que moi. De savourer la vie en sachant que leurs besoins de base sont couverts. De se lancer dans les activités qui leur plairont ou de glander s'ils le souhaitent, en attendant l'inspiration qui leur permettra peut-être de changer la face du monde.

Ce projet me tient d'autant plus à cœur qu'il est - de loin - le plus réaliste des avenirs à l'heure de la robotisation. Certains y voient le retour du communisme ou un alibi pour ne plus rien faire, mais c'est tout le contraire. Le RBI constitue l'aboutissement idéologique d'un libéralisme sain, tels que l'ont conçu les sages du passé pour affranchir l'humanité des tâches qui l'empêchent de s'épanouir intellectuellement, spirituellement, socialement et professionnellement.

Un libéralisme confisqué par un tout petit pour cent de la population mondiale dans l'indifférence, voire avec le soutien de ceux qui, pourtant, s'en réclament. Je ne leur jette pas la pierre: ces embourgeoisés défendent les intérêts de leurs puissants clients, comme je le fais avec les miens. Le plus souvent, ils sont convaincus par la justesse de leur cause: quoi de plus naturel que défendre ceux qui donnent du travail à leurs employés tout en les enrichissant ? A leur place, je ferais probablement la même chose, mais je ne suis pas à leur place.

Ce qu'ils ignorent (ou laissent consciemment aux prochaines générations), c'est qu'ils perpétuent les conditions qui ont permis l'émergence du communisme, mais aussi de tous les fascismes ! En soutenant l'aristocratie financière comme ils le font, ces libéraux, honnêtes mais aveugles, favorisent l'émergence d'une classe populaire toujours plus désespérée qui finira par prendre les armes lorsqu'elle n'aura plus rien à perdre.

Rien n'est plus dangereux qu'un désespéré, à l'exception d'un million de désespérés.

La seule chose qui me rende infiniment triste, c'est la cécité ayant conduit les plus brillants des libéraux à la résignation (qu'ils nomment réalisme pour se rassurer) face à la dépossession d'une doctrine politique que son fondateur, Adam Smith, avait pourtant si bien définie:

"Dans le système de la liberté naturelle, le souverain n'a que trois devoirs à remplir; trois devoirs d'une haute importance, mais clairs, simples et à la portée d'une intelligence ordinaire. Le premier, c'est le devoir de défendre la société de tout acte de violence ou d'invasion de la part des autres sociétés indépendantes. Le deuxième, c'est le devoir de protéger autant qu'il est possible chaque membre de la société contre l'injustice ou l'oppression de tout autre membre, ou bien le devoir d'établir une administration exacte de la justice. Et le troisième, c'est le devoir d'ériger et d'entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l'intérêt privé d'un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que jamais le profit n'en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques particuliers, quoiqu'à l'égard d'une grande société ce profit fasse beaucoup plus que rembourser les dépenses."

Sur ce, j'espère que vous pardonnerez mon impudeur et je vous embrasse !

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