(article à retrouver aussi sur mon blog (http://est-ethique.6mablog.com), dans la rubrique Revenu de base)
Avec le dépôt, le 4 octobre prochain, de l'initiative visant à l'introduction d'un revenu de base inconditionnel (RBI), devant permettre à chacun de mener une existence digne, va s'ouvrir une période de débats parlementaires et politiques autour de cet objet. Si nous espérons que ces discussions déborderont largement les arènes institutionnelles, il est dans tous les cas évident que l'idée, qui a séduit nombre de personnes au niveau de ses principes, sera fortement questionnée au plan de sa faisabilité, notamment économique.
Dans cette optique, la première, à notre connaissance, à avoir dégainé, et avant même que l'initiative soit assurée d'aboutir, est Économie suisse. En octobre 2012, elle publiait en effet un « dossier politique » d'une quinzaine de page, intitulé : « Revenu de base inconditionnel ? Malheureusement, non ». A nous pencher sur le travail de ses experts, eux qui concluaient par un sec « retour à l'expéditeur », nous opposons un non moins cinglant : « copie à revoir ».
S'il faut saluer la démarche d’Économie suisse d'avoir cherché à modéliser les effets macro-économiques de l'introduction d'un RBI, ainsi que le travail toujours utile d'établissement de données pertinentes, force est de constater que les faiblesses de l'analyse, au niveau notamment du paramétrage du modèle, sont in fine fatales à la démonstration. Ce n'est pas faute pourtant d'avoir identifié le problème essentiel, à savoir que, comme ils l'écrivent eux-même : « Le RBI tel que l'exige l'initiative n'a encore jamais trouvé d'application pratique [..] La Suisse s'aventurerait donc en terre inconnue [..] Précis[ons] qu'il n'est pas possible de quantifier exactement les effets, un changement aussi radical ayant de multiples répercussions susceptibles d’interagir entre elles. »
A cette saine précaution méthodologique, que nous partageons entièrement, Économie suisse apporte pourtant cette réponse étonnante : « Afin de maîtriser au mieux ces interdépendances dans notre analyse, nous l'asseyons sur un modèle macroéconomique simple ». D'une manière générale, rapport à la modélisation, il n'y a rien à objecter à la « simplification », la réduction de la complexité étant l'un des objectifs principaux de la recherche scientifique.
Par contre, il faut pour cela supposer que les effets des variations non intégrées au modèle sont globalement neutralisées. Or cela paraît déjà beaucoup plus audacieux, surtout lorsque l'on a soi même reconnu que l'on allait avoir affaire à des modifications « qualitatives » (terre inconnue, changement radical). Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, il nous paraît pour le moins problématique de continuer de « suppos[er] que tous les individus ont les mêmes préférences », à savoir que leur utilité est semblablement influencée par leur désir de minimiser leur charge de travail et de maximiser leur consommation. Et de nouveau Économie suisse de rétorquer que : « Même si cette hypothèse est souvent critiquée comme simpliste, l'expérience montre qu'elle convient bien pour émettre des pronostics ». En gros, le fameux adage newtonien : « c'est faux mais ça marche ».
Mais c'est bien là, répétons-le, que se pose le problème principal. Si le modèle utilisé par Économie suisse, et nous voulons bien les croire sur parole, permet d'atteindre l'équilibre avec des paramètres proches de notre réalité, rien n'indique qu'il soit valable pour la situation économique d'une Suisse avec RBI. Car quand est évoquée la qualité pronostique du modèle, c'est en fait sa capacité à « résister » aux variations passées des fondamentaux de l'économie, qui n'ont, en Suisse, jamais évolués que progressivement et avec une amplitude modérée.
Avec le RBI par contre, on procède de manière instantanée, pour le moins très rapide, à un changement significatif de la structure des revenus. Cela n'a rien de catastrophique en soi, mais implique, pour en mesurer les conséquences à moyen terme, de prévoir assez exactement comment les individus réagiront, d'abord dans la période de « choc adaptatif » puis dans un deuxième temps, à partir duquel le RBI sera intégré à l'univers cognitif de chacun. Cette discontinuité évolutive, qui représente le changement qualitatif déjà mentionné, fait toute la différence. Car comme il est impossible de prévoir avec un semblant de précision le comportement de nos concitoyens, le modèle, outre qu'il est faux, ne marchera pas.
Et même à supposer que, par le plus grand des hasards, les diverses répercussions et leurs interactions se neutralisaient, et donc que le modèle d’Économie suisse deviendrait acceptable, il faudrait encore recommencer les calculs. En effet, dans sa propre logique, nous relevons encore un sérieux problème dont la résolution conduirait nécessairement à modifier sensiblement ses résultats.
Si nous pouvons passer sur la fixation du taux d'impôt comme variable exogène, c'est-à-dire fixée « arbitrairement », la manière de considérer l'augmentation des transferts, variable déterminante de la baisse du PIB, du stock de capital, du temps de travail fourni, de la consommation et de la hausse drastique de la TVA (toutes les catastrophes promises), n'est pas acceptable.
On passerait en effet d'un montant des transferts de 130 à 270 milliards sans tenir compte de la nature très différente de ces montants. Or si il est à peu près sensé de se baser sur des transferts bruts aujourd'hui car il n'y a que les allocations familiales pour globalement sortir d'une poche pour retourner immédiatement dans l'autre (4.8 milliards), cela n'a pas de sens avec le RBI qui, et on le lui reproche assez par ailleurs, opère des transferts nets très inférieurs à l'argent « déplacé ».
Ce serait comme traiter un rabais d'impôt à la manière d'un transfert : formellement exact mais économiquement indifférent. Si l'on considère que le RBI ne sera réellement touché que, intégralement, par les actifs inoccupés, partiellement, par les salariés à faible rémunération et les bénéficiaires d'actuels transferts n'atteignant pas le montant du RBI, et, à pour un quart - diminué des allocations familiales, par les mineurs, on obtient un niveau de transfert de l'ordre de 50 milliards, pour compter large. On ne manquera pas de dire que c'est encore énorme. Certes ! Mais nettement moins que la différence entre 270 et 180 !
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