Dans cet article que nous avons repris de la lettre de liaison N° 57 de l'AIRE (Association pour l'Instauration d'un Revenu d'Existence), Yoland Bresson explique pourquoi le RSA (qui succède aujourd'hui au RMI) ne peut être préféré au Revenu d’Existence (ou Revenu de base, comme nous l'appelons en Suisse).
L’objectif primordial de tout ministre de « l’exclusion » c’est d’œuvrer pour assurer l’intégration de tous les citoyens dans la vie économique et sociale de la Nation. La source première de l’exclusion dans nos sociétés marchandes d’aujourd’hui est l’absence ou l’insuffisance de revenus monétaires réguliers. Et, plus encore que le niveau de revenu, c’est son irrégularité, l’insécurité dans les moyens de vivre, qui engendre la pauvreté. La mise à l’écart du pauvre, l’absence de reconnaissance sociale douloureusement ressentie est une conséquence, la marque de l’exclusion et non sa cause.
Or, une pensée fausse s’est imposée : le point nodal de l’exclusion est dit-on aujourd’hui, l’emploi. Seul l’emploi conditionne l’intégration même si l’objectif affiché est de réduire de moitié la pauvreté. Significative est à cet égard l’affirmation de M. Hirsch qui ouvre ainsi sa proposition de RSA : « la lutte contre la pauvreté passe par l’emploi ». Il s’ensuit que puisque le RMI est insuffisant et qu’au surplus, il désincite ses bénéficiaires à trouver un emploi trop rémunérateur, à peine supérieur au RMI, malgré la pénibilité du travail, il suggère d’allouer un revenu de solidarité active cumulable avec le RMI, en contrepartie d’un emploi faiblement rému- néré, pour amener le revenu de tout employé au moins au niveau du seuil de pauvreté.
Ainsi bien présenté, le RSA paraît satisfaire simultanément un double objectif celui de diminuer le chômage en suscitant un effort vers l’emploi et celui de réduire la pauvreté en soulageant l’inquiétude croissante devant la multiplication de « travailleurs pauvres ». Pourtant le RSA ne fait que reprendre une médecine du passé, largement expérimentée, à la faible efficacité...ajoutant une allocation redistributrice conditionnelle, évidemment complexe dans son appli- cation, au maquis déjà existant d’allocations, tellement imbriquées qu’elles finissent par entrer en concurrence, à l’exemple du RSA et de la Prime Pour l’Emploi, PPE, toutes deux à ranger dans la classe « d’impôt négatif ». Bientôt, en France, même un ordinateur performant ne saura plus quoi donner et à qui donner. Cette conception privilégie l’emploi comme mode unique d’intégration.
Mohamed Yunus, le dernier Prix Nobel d’économie, s’étonnait récemment que l’occident accorde à l’emploi ce rôle exclusif d’intégration. Son expérience du micro crédit et la multiplication d’activités hors de l’emploi normé qu’il suscite, prouve que ce sas, considéré comme obligatoire, non seulement prive l’économie de ressources potentielles, mais se révèle être aussi un déni d’humanité.
Demande t-on à une personne fortunée d’avoir un emploi pour lui faire une place dans la société?
Pourquoi faudrait-il que seuls les pauvres soient tenus d’exciper un bulletin de salaire satisfaisant pour louer un logement, avoir accès aux banques, être intégré et reconnu participant à la vie économique et sociale ?
À l’opposé, parce que la pauvreté est d’abord affaire de revenu monétaire et non d’emploi. Parce que la reconnaissance sociale est affaire de travail, d’offre de temps mis en forme d’objets ou de services qui rencontre une demande d’échanges, sans nécessité de transiter toujours par un emploi. Parce que, enfin et surtout, il ne faut pas confondre travail et emploi. L’emploi n’étant que du travail devenu marchandise, contractuellement soumis à la tutelle et aux exigences d’un employeur, et dont le prix est déterminé par le marché. Le RE qui alloue inconditionnellement, un revenu en monnaie, égal pour tous, quels que soient l’âge, le sexe, l’activité, et qui est cumulable avec tout revenu supplémentaire quel que soit son montant et sa source, accueille et intègre chaque citoyen dans la communauté, est un droit de l’homme.
Le RE, n’a pas pour objectif premier de vaincre la pauvreté. Mais il garantit en conséquence de son instauration l’élimination de l’extrême pauvreté. Par sa régularité il donne espoir et favorise les projets d’avenir. Il rétablit chacun dans son égale dignité.
Le RE est un changement dans la distribution des revenus et non une énième allocation d’assistance de redistribution s’ajoutant aux autres. Au contraire il se substitue à nombre d’entre elles, apportant simplification et clarification, diminuant par son automacité les coûts de gestion. Indexé sur le PIB il permet l’évaluation maîtrisée en continu des coûts présents et futurs, ce qui par rapport au RSA lui confère un avantage considérable. En effet, les modalités d’application
du RSA recèlent des risques sous estimés que la durée d’expérimentation actuelle avant sa généralisation ne permettra pas de révéler.
Rappelons que l’équivalent du RSA a été expérimenté aux USA, dans les années soixante, sous le nom d’impôt négatif, pendant 3 ans pleins, concernant 30 000 familles du New Jersey. La principale leçon qui en fut tirée est qu’il agissait comme un fort stimulant du « travail au noir ». Cela s’explique.
Comme pour le RSA, le bénéficiaire devait d’abord avoir un emploi faiblement rémunéré.
L’impôt négatif alloué lui complétait son revenu insuffisant pour lui faire atteindre un seuil de pauvreté. Fixons le à 100. S’il gagnait 20, il recevait 80 en plus de l’État. Mais s’il augmentait son effort ou profitait d’une meilleure offre lui rapportant par exemple 60, il ne recevait plus que 40. Tout se passait comme si son surplus de gain, pour un surplus de travail, lui était totalement confisqué. Le temps d’apprentissage du système aidant les bénéficiaires comprirent qu’il leur était plus profitable d’entrer dans le mécanisme avec un petit boulot officiel, à temps partiel, rapportant peu, de façon à percevoir le maximum de l’Etat, et à ajouter des revenus supplémentaires occultes par du travail au noir. Ainsi pendant la dernière année de l’expérience, il fallut multiplier les contrôles pour traquer la fraude. Le très libéral Milton Friedman père du projet et le Président Nixon renoncèrent à généraliser ce mécanisme à l’échelle des Etats Unis reculant devant la monstrueuse administration qu’il aurait fallu mettre en place pour garantir l’honnêteté des comportements. Les promoteurs du PPE en France, avaient aussi retenu cette leçon. Seuls les travailleurs à temps plein peuvent bénéficier de cet impôt négatif.
Certes le RSA perfectionne le système, faisant en sorte que la confiscation ne soit pas totale, la limitant pour l’instant à 60 % sans que la progressivité du prélèvement soit définitivement établie. Mais même si le bénéficiaire conserve une fraction de son gain en surplus, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il aura intérêt à se contenter d’un emploi à temps partiel, faiblement rémunéré, à obtenir le montant le plus élevé possible de RSA, et à y ajouter des revenus supplémentaires cachés issus du travail au noir. Attendons nous à ce que les coûts de gestion enflent du fait des contrôles et de la lutte contre les fraudeurs. D’ailleurs sont-ils vraiment à condamner ? L’allocation conditionnelle de RSA en fait moins des citoyens libres et responsables
que des sujets, à l’instar de toutes les allocations d’assistance. Rebelles, désireux d’exploiter au
mieux leur marge de liberté, n’est-il pas compréhensible, qu’il ne rendent pas à la compassion de la gratitude civique, mais manifestent plutôt leur habileté à satisfaire un intérêt personnel ?
Il y a plus inquiétant. Le RSA peut devenir une bombe à retardement budgétaire. Déjà, du fait de sa complexité, et de la régionalisation, l’évolution de son coût futur est quasiment impossible. Mais en outre, la mutation que traverse nos économies, peut se révéler dévastatrice pour le budget du RSA. En effet, plus le nouveau capitalisme mondialisé, centré sur le capital humain comme facteur prioritaire de production va dérouler ses conséquences, plus la flexibilité et l’adaptabilité constante vont imposer l’intermittence des emplois. On ne produit déjà que ce que l’on vend.
La demande versatile et la concurrence obligent à des ajustements incessants. D’où les flux tendus. Les stocks sont trop coûteux surtout les stocks d’employés permanents. Même si le nombre de chômeurs de longue durée, à chaque instant se réduisait, il y aura en permanence un nombre croissant, sans que ce soit toujours les mêmes individus, en situation d’intermittence et
d’attente d’emploi. On devrait d’ailleurs souhaiter que la rotation s’accélère, à l’image d’un grand aéroport, où l’afflux des passagers dans le hall est de plus en plus grand, parce que les mouvements de départs et d’arrivée sont nombreux, mais où parce que la gestion des passagers est efficace, ceux qui attendent dans le hall ne sont jamais les mêmes passagers. Tout se jouera alors
sur les délais d’attente, mais il n’est pas exclu que le nombre de bénéficiaires du RSA explose, même si ces bénéficiaires ne sont pas les mêmes individus.
Or, c’est justement pour accompagner cette mutation et en tirer les avantages que se justifie
l’instauration du RE. Face à l’intermittence des emplois, il tisse un filet de sécurité permanent et lisse les fluctuations des revenus d’activité en donnant à tous la capacité de compenser les trop fortes diminutions de revenus par un mécanisme d’assurance, éventuellement mutualisé. En outre rien n’empêche d’allouer à ceux qui rechercheraient activement un emploi, qui se formeraient en vue d’une réorientation où qui tout simplement, dans l’intermittence assureraient des services d’utilités publiques, un autre RSA, qui signifierait maintenant : revenu solidaire d’activité.
Yoland Bresson, Lettre de liaison 57 de l'AIRE – Été 2008
Juin 2008.
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