Dans l'émission de la RTS « Naviguons à vue », Marc Muller et Jonas Schneiter ont reçu Ralph Kundig, Président de BIEN-CH. Il est question de la résilience du modèle du Revenu Inconditionnel de Base (RBI) en cas de crise et de sa pertinence dans un processus de transition écologique.
Transcription des propos de Ralph Kundig :
« Aujourd’hui, notre système social croule sous les demandes et est devenu inadapté. Conçu pour un accompagnement personnalisé de quelques rares personnes en difficulté d’intégration, il n’était pas prévu pour prendre en charge une large frange de la population dont le seul problème est de ne pas obtenir suffisamment de revenu pour pouvoir vivre. Ce qui était prévu pour des cas d’exceptions est devenu une généralité. Un système qui est conditionnel, qui doit étudier chaque cas pour savoir si la personne remplit les conditions et en plus, lui imposer un accompagnement social dont la plupart des personnes n’ont pas besoin, parce que finalement, elle ne manque que de revenu, n’est plus adapté aujourd’hui.
Avec le filet social, une partie de la population ne correspond pas aux critères. Le RBI apporte au contraire un socle économique pour tout le monde, sans condition et sans laisser personne passer au travers. En plus, ce socle permet aussi de rebondir pour s’insérer dans l’activité professionnelle, au contraire du filet social conventionnel qui n’est accordé que sous condition de non-activité, et dès lors, qui peut dissuader de se réinsérer dans le marché du travail.
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Bien que le marché du travail est censé être un marché, nous nous trouvons actuellement dans une situation ou les entreprises peuvent faire une pression à la baisse sur les salaires et ça ne date pas d’aujourd’hui. C'est pour ça que je parle d'urgence. Depuis plus de 40 ans, la part des revenus de l'activité qui est allouée aux salaires se réduit. Elle s'est réduite de 10% dans ces 40 dernières années. Cela veut dire que l'activité rapporte de moins en moins en salaire est de plus en plus en bénéfices et en dividendes. Avec le RBI, à partir du moment où l’on peut refuser de s'insérer dans l’activité professionnelle si les conditions proposées ne sont pas suffisantes, on bénéficie d’une base de négociations beaucoup plus forte pour exiger un salaire qui soit suffisant. Si les entreprises ne proposent pas un revenu suffisant pour telle ou telle autre activité, et bien les travailleurs ne s’engageront pas.
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Comme le RBI permet aux personnes de vivre, c'est aussi un soutien à la prise de risque entrepreneurial. Parce que les entrepreneurs n'ont plus à se soucier d’assurer leurs moyens d'existence, ils peuvent se consacrer en toute sérénité au développement de leurs activités. On le constate dans les différentes expériences pilotes du RBI. Par exemple dans le cas de la Finlande, on a le témoignage d'un journaliste qui a fait partie du groupe de la population tiré au sort pour participer à l'expérience. Il a profité de cette période pour écrire un livre. Il témoigne qu’en matière de revenu, ça n'a pas fait une grande différence (le revenu de base était fixé à 560 euros dans cette expérience), mais qu’en fait, cela lui a assuré une base de sécurité qui a permis de réduire ou de supprimer son stress existentiel, en même temps que de lui épargner toutes les démarches administratives associées à la protection sociale conventionnelle. Il a pu ainsi développer un espace créatif qui lui a permis d’écrire un livre au bout du compte.
Le fait d'avoir une base de sécurité permet de prendre des risques et soutient toutes sortes d'activités créatives qu'elles soient lucratives ou non, ou encore, progressivement lucratives. Dans un pays comme la Suisse et dans d'autres pays développés, sur l’ensemble des activités qui sont nécessaires à la création de la richesse du pays, il n'y en a que 40 % qui sont rémunérés. Une très grande part de l'activité qui est indispensable à cette production de richesse n’est donc pas payée, essentiellement dans le domaine des soins (du care), de la famille et de l’activité associative.
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Le problème pour faire comprendre le RBI est l'absence de débat sur la question, ce qui fait que la plupart de la population à une idée fausse sur du sujet. Les gens pensent généralement qu'il s'agit d'un revenu qui récompense l'inactivité, qu’on ne reçoit le RBI que lorsque nous ne faisons rien. Même des intervenants qui parlent du revenu de base inconditionnel prononcent le mot « inconditionnel », mais continuent à penser en mode conditionnel. On imagine encore que c'est un revenu que si on ne travaille pas.
En réalité, c'est complètement différent puisqu’il s’agit d’un revenu que l’on reçoit qu'on travaille ou qu'on ne travaille pas et donc, absolument pas une prime à l'oisiveté (1). C’est au contraire une prime à l'activité et à l’insertion professionnelle, puisque n'importe quel autre revenu s’ajoute au RBI et permet d'augmenter son revenu global. C’est aujourd'hui que nous avons quelque part une incitation à l'inactivité, parce que lorsqu’on a franchi toutes les étapes pour finir à l'aide sociale, ce qui est le cas pour de plus en plus de personnes, quand on a bu jusqu'à la lie toute l'humiliation et rempli toutes les formalités, il arrive qu’on perde la motivation à s'insérer dans le marché du travail, parce que si on se réinsère, on perd ses prestations. Le cas échéant, on devra recommencer tout le processus, avec tous les délais qui sont derrière.
Et puis concernant la question de l’oisiveté, chacun peut se demander ce qu’il ferait s’il recevait un RBI. On a fait des sondages sur cette question. Les personnes ont répondu à 60% qu'elles continueraient à travailler parce qu’elles n’aiment pas ne rien faire, parce qu'elles aiment leur travail, parce qu’elles veulent un revenu qui soit confortable ou bien encore, pour conserver le lien social. 30% des personnes répondent qu’elles pourront peut-être diminuer leur taux d'activité, celles-ci pensent continuer à travailler, mais aussi faire d'autres choses, par exemple des activités qui sont plus créatives ou s'occuper de leur famille. Et seulement 10% répondent qu'elles ne vont d'abord rien faire, voir plus tard et d’abord, se reposer. Mais quand on demande aux mêmes personnes : qu'est ce que vous penseriez que les autres feraient s’ils avaient un revenu de base, 80% des personnes répondent : eh bien, elles vont arrêter de travailler ! Donc quelque part, il y a une espèce de manque de confiance dans l'autre et c'est là autour qu'il faudrait vraiment avoir le débat. On constate que dans toutes les situations où les personnes ou déjà un revenu indépendamment du travail, les personnes ne sont pas inactives, elles continuent à être actives, parfois même plus, comme on le constate généralement chez les retraités. Donc toutes ces questions, il faudrait vraiment pouvoir en débattre.
Nous pensons que les résistances au revenu de base ne sont en fait pas fondées sur le plan économique, mais ce sont plutôt des résistances philosophique et psychologique. On vit dans une société baignée dans une culture et dans une éducation depuis la prime enfance basée sur l'idée qu'il faut gagner sa vie, une culture où il faut souffrir pour gagner le paradis. Et le RBI paraît utopique, parce qu’on vient dire : eh bien non, il n’est pas utile de souffrir. Maintenant, grâce au travail de toutes les générations qui nous ont précédés, grâce à la richesse qui a été produite qui est en fait un bien commun, nous n’avons plus besoin de travailler autant. Non seulement nous n’avons plus besoin, mais nous ne pouvons plus même lorsque nous le voulons, parce que l'économie n'a plus besoin d'avoir autant de travail humain. Celui-ci est remplacé par l'intelligence artificielle, les robots, les technologies numériques et ainsi de suite. Alors à partir de là, on arrive un moment où il faut pouvoir répartir la richesse produite autrement que par les salaires. C'est tout ce débat qu'il faudrait avoir sur la place publique. Malheureusement, on constate qu’en dehors des périodes de crise et de nos propres actions politiques, les sujets de discussion sont toujours très factuels par rapport aux problèmes du moment. C’est un peu dérisoire, parce que tous ces problèmes du moment, dans la plupart des cas, n'existeraient pas si il y avait le RBI…
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Les seules personnes qui ne méritent pas le RBI sont celles qui ne résident pas dans le pays. Au cas par cas, les prisonniers ont toujours le droit à un revenu pour leur existence, mais leur RBI sera pour l’essentiel versé à la prison puisque celle-ci aura la charge de leur entretien. Maintenant, si on prend les millionnaires, ils vont recevoir le RBI comme tout le monde, mais le système de répartition à la clé du financement de base prévoit qu’ils seront soumis beaucoup plus à contribution que les personnes qui ont de faibles revenus. Donc, d'une certaine manière, il touche le RBI comme tout le monde, mais de l’autre côté, ils y contribueront beaucoup plus. Nous avons coutume de dire que le fait que tout le monde reçoive le revenu de base, même les millionnaires, est dans l'intérêt des pauvres, parce que cela fait de ce revenu un droit universel et non pas une nouvelle prestation sociale stigmatisante.
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Mais les millionnaires ne vont pas être taxé tel quel. Il y a différentes méthodes qui sont prévues pour réaliser la recirculation économique du RBI et nous proposons plusieurs sources, l’une étant de faire un prélèvement directement au niveau de la production de richesse, c'est-à-dire de la valeur ajoutée nette produite par les entreprises (VAN), mais nous pensons également à l'introduction de la micro taxe dont on parle de plus en plus, y compris sur le plan de la fiscalité en général. On constate en effet que l'activité n'est pas le seul endroit où de l’argent est généré. Il y a énormément de richesse qui est produite dans de simples échanges financiers, notamment boursiers, mais pas seulement. Une micro taxe sur toutes les transactions électroniques qu’on estime à 0.5 pour mille suffirait d'ailleurs à financer le RBI. Pour vous donner une idée avec 0.5 pour mille sur un revenu de Fr. 100’000, vous auriez à payer Fr. 50.–.
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Je pense que la crise économique est un moment favorable pour avancer l’idée du RBI. On constate d’ailleurs aujourd'hui beaucoup d'appels pour le revenu de base. Il y a notamment deux pétitions qui circulent dont celle du citoyen Erwin Fässler (2), un voyagiste, et qui a déjà recueilli maintenant 90k signatures, et la pétition lancée par les Jeunes-Verts suisses3 qui a recueilli actuellement 35k signatures. Ensemble, on arrive déjà à 125k, bien qu’il n’est pas impossible que certains aient signé les deux. Il y a aussi la demande pour une expérience pilote qui a été récemment déposée à Zürich, une autre étant déjà pendante à Genève et une autre encore à Lausanne. Vous voyez, ça bouge, on en parle maintenant de plus en plus et ce n’est d'ailleurs pas un hasard si on est en train d’en parler maintenant ensemble. Si on se tourne vers le passé, les grands changements sociétaux et sociaux ont chaque fois été introduits en période de crise. Si on prend l’exemple de l’AVS, elle a été refusée plusieurs fois en votation et c'est seulement à l'après-guerre, c'est-à-dire en 1948, qu'elle était introduite en urgence par le Conseil fédéral. Je pense ainsi que la situation actuelle est propice. »
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